On revient dans cet article sur une publication récente intitulée Tackling Climate Change with Machine Learning, à propos de l’application de l’IA pour remédier au changement climatique, afin de reformuler les principaux points évoqués et certains des exemples cités dans le but de mieux diffuser ces idées.

Le changement climatique est aujourd’hui un fait, d’après le rapport intergouvernemental de 2018 sur le changement climatique, on estime que les émissions globales des GES (Gaz à Effet de Serre) devraient être éliminées d’ici 30 ans, pour ne pas faire face à des conséquences catastrophiques, pourtant ces émissions continuent d’augmenter.

Quand on parle d’actions pour le climat, on évoque souvent deux volets : les atténuations des émissions (Mitigation) et les adaptations aux conséquences inévitables (Adaptation). L’atténuation des émissions des GES nécessite des changements des systèmes de production/distribution de l’énergie électrique, des moyens de transports, des bâtiments, de l’industrie, et de l’exploitation des terres. L’adaptation aux effets implique des connaissances telles que la modélisation du climat (pas simple), la prédiction du risque et la planification pour la gestion d’intempéries par exemple. La diversité de ces disciplines offre alors la possibilité d’agir de plusieurs façons.

Aujourd’hui, le ML (Machine Learning) ou l’IA (Intelligence Artificielle) en général sont reconnus et utilisés dans une large variété de disciplines, et en particulier ces outils offrent un grand potentiel pour innover et créer des solutions pour remédier au changement climatique. Toutefois, la réalisation de ce potentiel nécessite clairement une coopération entre les diverses parties pour mieux identifier les solutions et les appliquer. En effet, d’un côté les scientifiques du ML cherchent à agir dans ce sens sans savoir précisément comment, et d’un autre côté plusieurs secteurs attendent de voir comment est appliqué le ML dans leur secteur d’activité. Il est néanmoins clair que la problématique touche tout le monde et que vu la diversité des volets sur les lesquels on peut agir et les possibilités du ML, il est intéressant de mettre les efforts en commun en vue de voir des solutions émerger.

Ce qui distingue cette publication, c’est l’appel à travailler ensemble, de fournir une première cartographie des travaux existants et de situer les champs potentiels d’actions à appliquer dans l’immédiat ou pour le long terme.

On note que les travaux et pistes proposés dans cet article sont présentés par thématiques et sont aussi identifiés avec l’un des labels suivants:

  • High Leverage: pour dénoter des problématiques, où le ML est particulièrement adapté et peut apporter un grand impact
  • Long-term: pour dénoter des champs d’action avec des résultats après 2040, mais aussi nécessaires que les actions à court terme
  • High Risk: pour dénoter des solutions plutôt risquées, dans le sens où le résultat n’est pas garanti
Source de l'image: rodhunt.com

Cette publication met bien l’emphase sur la valeur de collaboration entre des disciplines diverses. En effet, pour avancer effectivement, une collaboration entre plusieurs disciplines est nécessaire. Ceci permettrait d’opter pour des solutions plutôt simples que complexes, de se focaliser sur des problématiques actuelles où les solutions seraient à fort impact, ou de mieux anticiper le risque. Enfin, croiser les disciplines est fortement conseillé dans un tel contexte, où on veut appliquer une expertise en IA sur un autre secteur lié à l’environnement.

Aussi, un tel esprit collaboratif assure la diffusion des solutions jusqu’à l’audience qui en fera usage. D’où il est conseillé de produire du code et d’utiliser des plateformes facilement accessibles aux utilisateurs.

Enfin, le ML n’est pas une solution miracle, on peut y trouver des solutions à certains défis mais il n’apportera pas de valeur pour d’autres. De plus la technologie en général n’est pas suffisante à elle seule. Il a bien existé pendant des dizaines d’années nombre de solutions techniques pour agir en faveur du climat mais qui n’ont pas été adoptées à grande échelle par la société. C’est surtout l’humanité qui doit agir.

Parmi les nombreux champs d’action cités, on choisit ici de reprendre les idées des auteurs sur les thèmes de la production électrique et des bâtiments.

Systèmes électriques

Les systèmes de production de l’électricité ne génèrent pas que de l’électricité mais aussi une grande quantité de données et beaucoup de GES. En effet, on estime qu’ils sont responsables du quart de la totalité de ces émissions.

Comment permettre l’électricité à bas carbone ?

L’exemple des ressources variables

Pratiquement la totalité de l’électricité est délivrée au consommateur en utilisant un réseau physique, où la puissance générée par les centrales doit répondre à la demande des consommateurs en chaque instant. Ce qui implique que l’utilisation des panneaux solaires, des éoliennes ou toute autre ressource variable, nécessite un mix énergétique, c’est à dire l’utilisation d’une autre ressource comme des centrales au gaz naturel, un moyen de stockage de l’énergie ou bien toute autre source qu’on peut contrôler pour palier un changement non prédit du vent ou de l’ensoleillement par exemple. Aujourd’hui la plupart des moyens assurant cette stabilité en cas de fluctuations sont des centrales au gaz naturel qui sont maintenues en mode standby pour être capable d’augmenter leur production rapidement, ce qui génère du CO2 même si ces machines ne produisent pas d’électricité. Les systèmes à bas carbone devraient donc être plus performants, on s’attend alors à utiliser d’autres technologies de stockage tels que des batteries ou des centrales hydroélectriques à réserves pompées. Toutefois, la gestion d’un tel système très variable est complexe.

Le machine learning peut alors apporter des solutions pour opérer ces systèmes, en apportant des outils à la prédiction, la planification et le contrôle, et non des moindres en aidant à la création de nouveaux marchés de l’électricité, mieux adaptés à une production variable et à une demande flexible.

Prédiction de la production et de la demande (high leverage)

Face aux fluctuations des systèmes de production variables et de la demande de l’électricité, une prédiction à court terme permettrait aux opérateurs de mieux planifier et donc d’utiliser le moins possible des centrales au gaz naturel polluantes, et de mieux profiter d’un surplus de production renouvelable. Sur le long terme, des prédictions plus exactes permettraient aussi de mieux concevoir les futurs systèmes de production, par exemple en contribuant à mieux définir leur emplacement ou leur capacité.

À ce jour, plusieurs modèles ont été réalisés pour prédire à court et moyen terme la production des centrales solaires, éoliennes ou hydrauliques ou bien de la demande, en utilisant des données réelles historiques, des données produites par des modèles physiques, des images ou même des vidéos. Pour les algorithmes, on trouve du machine learning supervisé, de la logique floue et des modèles hybrides physiques («hybrid physical models»).

À une échelle spatiale plus petite, il existe des références de travaux pour la prédiction de la demande, en utilisant des méthodes comme le clustering, la théorie des jeux, l’optimisation, la régression, ou l’apprentissage en ligne pour prédire des entités désagrégées à partir d’un signal agrégé (celui du consommateur).

Ce qui caractérise ces méthodes, c’est qu’elles formulent des techniques agnostiques du champ d’application. D’après l’article, les algorithmes de ML au futur devraient incorporer des connaissances spécifiques à chaque champ d’application. Par exemple, étant donné que les conditions climatiques influencent beaucoup la génération de l’énergie électrique à partir des ressources renouvelables et la demande du consommateur, les algorithmes de ML essayant de prédire ces quantités devraient incorporer les innovations dans la modélisation du climat ou bien dans la prédiction de la météo et s’inspirer des modèles hybrides physiques -plus- ML, ce qui devraient améliorer leur précision. L’implémentation de ces modèles devrait aussi formuler dans ces objectifs de minimiser les émissions de GES.

Bâtiments et urbanisme

Le secteur des bâtiments représente un potentiel plutôt à portée de main pour réduire les GES liés à l’énergie, puisqu’il est tenu pour émettre un quart de ces émissions et que des solutions pour améliorer les constructions sont bien existantes et faciles à implémenter. Ces solutions en général améliorent en même temps d’autres facettes fonctionnelles du bâtiment et donc l’expérience de celui qui l’occupe, comme une meilleure qualité de l’air. On peut classer les champs d’action sur deux grands volets:

  • l’optimisation des bâtiments existants ou en construction d’une part
  • mais aussi:
    • une meilleure planification urbaine
    • des politiques encourageant la limitation des GES d’autre part

Et sur ces deux volets, le machine learning peut apporter des outils pertinents pour accélérer la transition vers des choix avec moins d’émissions.

Pour le volet optimisation des bâtiments, le ML peut intervenir soit dans la modélisation des données de consommation de l’énergie ou bien dans l’optimisation de l’usage de l’énergie (smart building).

Modèles pour les données de consommation

Une étape essentielle pour l’efficacité énergétique est de donner sens aux grandes quantités de données produites de plusieurs façons (compteurs, systèmes de monitoring ou autres). Ceci peut se traduire par la prédiction de la consommation de l’utilisateur, utile aux compagnies de production d’énergie, mais aussi pour l’évaluation du design en cours du bâtiment et de sa future exploitation.

Les modèles traditionnels de prédiction de la demande en énergie des bâtiments sont plutôt des calculs thermodynamiques coûteux. Le ML a le potentiel d’accélérer ce calcul considérablement, soit par exemple en ignorant la physique du bâtiment complètement, ou en apprenant à approximer le modèle physique pour réduire le coût, en apprenant à transférer les connaissances apprises sur un bâtiment vers d’autres bâtiments. Par exemple des experts ont utilisé le reinforcement learning avec du Deep Belief Networks pour prédire les profils de courbes de charge en alimentant leur modèle de données de consommation de bâtiments commerciaux et résidentiels. Ensuite, ils ont utilisé la technique du Approximate Reinforcement Learning avec du Transfer Learning pour faire des prédictions sur des nouveaux bâtiments, afin de faire des prédictions sur de nouveaux bâtiments permettant un transfert d’apprentissage des bâtiments commerciaux vers le résidentiel et des buildings chauffés au gaz à ceux chauffés à l’électricité.

Un autre cas d’usage intéressant pour le ML est la vérification des résultats d’interventions pour l’efficacité énergétique. Le ML offre en effet des méthodes pour faire des inférences causales. Par exemple, un chercheur a utilisé une Lasso Regression sur des données de consommations électriques horaires d’une école pour montrer que des interventions n’ont pas apporté les gains attendus.

Smart buildings et la portée du smart

Les systèmes de contrôle intelligent peuvent réduire l’empreinte carbone des bâtiments en réduisant leur consommation ou bien en permettant d’intégrer des sources renouvelables d’énergie. L’efficacité des divers équipements dans un bâtiment peut être améliorée, et en particulier, les systèmes de chauffage et de climatisation, qui sont en général peu efficaces et comptabilisent en moyenne plus de la moitié de la consommation d’un bâtiment. On peut utiliser dans ce cas du ML : pour prédire les patterns des températures de consigne, et donc automatiser un meilleur contrôle de ces systèmes pour délivrer ces températures et pour la détection d’erreur. La prédiction de température peut se passer alors des modèles physiques classiques et se baser sur des algorithmes d’apprentissage tel que Deep Belief Networks qui peuvent être plus précis et moins coûteux. D’un autre côté, avec du ML on peut automatiser le diagnostic et la maintenance des bâtiments avec la détection d’erreur. Par exemple, les systèmes de climatisation se dégradent lorsque le niveau du réfrigérant est bas et on peut utiliser l’apprentissage machine dans ce cas. Des chercheurs ont traité ce cas comme un problème de classification à une seule classe en utilisant comme données d’entrée des températures.

Enfin, si on rappelle ce qui a été dit précédemment, la fourniture (origine) et les prix de l’électricité peuvent varier au cours du temps, donc la flexibilité côté consommateur (bâtiment) lui permet de planifier sa consommation quand l’énergie est plus verte par exemple ou moins coûteuse. Pour ceci, une réponse automatisée côté consommateur peut tenir compte des prix de l’électricité, des signaux de compteurs intelligents, ou des préférences de l’utilisateur. L’approche du Edge Computing peut alors aider à récupérer et procéder les données des capteurs distribués, et le Deep reinforcement learning peut utiliser ces données pour planifier efficacement l’usage de l’énergie.

Pour contribuer à ces champ d’actions ou suivre leurs évolutions, vous pouvez visiter le site climatechange.ai