L'impact environnemental de l'IA : synthèse du rapport intermédiaire de The Shift Project
Tu te souviens de novembre 2022 ? Ce moment où ChatGPT est devenu accessible au grand public. Il est passé d’une technologie expérimentale à un phénomène mondial. Un million d’utilisateurs en 5 jours, puis 100 millions en 2 mois (Sagot B., 2023). D’autres projets n’ont pas tardé à suivre dans son sillage.
Mais derrière cette révolution impressionnante se cache un énorme problème de consommation énergétique.
Sommaire
- Le numérique et l’IA face à la contrainte carbone
- La matérialité des infrastructures IA
- L’explosion de la consommation électrique
- L’empreinte carbone des centres de données
- Les défis techniques du déploiement massif de l’IA
- Les cas d’alertes énergétiques
- Les impacts sur les terminaux et les réseaux
- La concurrence avec les autres besoins de la transition écologique
- Vers une gouvernance adaptée de l’IA
- Conclusion
- Sources
Le numérique et l’IA face à la contrainte carbone
4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (The Shift Project, 2021a). C’est l’impact mondial du numérique. Cela peut sembler modeste au premier abord, mais quand tu réalises que c’est l’équivalent de tous les camions du monde qui roulent, la perspective change radicalement. En France, c’est 4,4% de notre empreinte carbone (ADEME, 2025).
Et l’IA vient s’ajouter à la fête, comme un invité qui débarque avec trois amis supplémentaires alors qu’on avait déjà du mal à nourrir tout le monde ! Avec +6% d’émissions par an dans le secteur numérique (The Shift Project, 2021b), nous ne sommes pas exactement sur la bonne trajectoire.
La matérialité des infrastructures IA
Mais l’IA, c’est dans le cloud, c’est virtuel !
Ce fameux “cloud” n’a rien d’un nuage cotonneux. C’est une armada de centres de données bien tangibles, avec des serveurs qui consomment.
L’écosystème numérique fonctionne avec ces trois composantes : ton terminal (smartphone, ordinateur, etc.), les réseaux qui transmettent tes données et ces fameux centres de données. L’IA générative, c’est un peu comme si on avait lancé une fusée sans regarder combien de carburant elle allait consommer. Spoiler alert : c’est énorme.
L’explosion de la consommation électrique
Les experts avaient prédit que les centres de données consommeraient entre 200 et 460 TWh d’électricité aujourd’hui (IEA, 2024a). Ils se sont trompés ! Et pas qu’un peu. En 2023, la consommation est entre 460 et 600 TWh (IEA, 2024a). Les nouvelles projections pour 2030 ? Entre 700 et 2 100 TWh (IEA, 2024a).

L’efficacité énergétique progresse, certes, mais atteindre la stabilité semble devenu un mythe, car les usages rattrapent les gains d’efficacité.

L’empreinte carbone des centres de données
Si on regarde les projections, l’empreinte carbone des centres de données pourrait grimper jusqu’à 0,86 gigatonne de CO₂ d’ici 2030 (The Shift Project, 2025). Pour te donner une idée, c’est presque autant que 75 % des émissions de l’aviation civile mondiale (The Shift Project & Supaero Decarbo, 2021). Et encore, ce chiffre ne prend même pas en compte toute la pollution liée à la fabrication des équipements nécessaires à ces infrastructures.
En plus, la situation ne s’arrange pas avec le recours massif aux énergies fossiles pour alimenter les nouveaux centres de données. Même si beaucoup d’entreprises technologiques communiquent sur leur engagement en faveur des énergies renouvelables, la réalité, c’est que l’expansion ultra-rapide de l’IA dépasse largement la capacité de production d’énergie verte disponible.

Les défis techniques du déploiement massif de l’IA
Pour entraîner et faire tourner les modèles d’IA les plus performants, il faut une puissance de calcul énorme, principalement grâce à des processeurs graphiques (GPU) ultra-puissants. Ces machines dégagent une densité d’énergie impressionnante : un seul rack de ces serveurs avec GPU peut consommer 5 à 10 fois plus qu’un rack classique.
Avec une telle concentration de puissance, le refroidissement et l’alimentation électrique deviennent de vrais casse-têtes. Les infrastructures traditionnelles ont du mal à suivre, ce qui oblige à investir dans des technologies de refroidissement dernier cri, comme l’immersion ou le refroidissement liquide direct. Malgré ces innovations, on atteint vite les limites : le Power Usage Effectiveness, ou PUE, qui mesure l’efficacité énergétique, a du mal à descendre sous 1,55 (Arcep, 2023 ; Uptime Intelligence, 2024).

Le PUE, c’est une façon simple de mesurer à quel point un centre de données est efficace en termes d’énergie. C’est le rapport entre toute l’énergie que consomme le centre (y compris la clim, l’éclairage, la distribution électrique, etc.) et l’énergie qui est réellement utilisée par les serveurs, le stockage et le réseau.
Un PUE proche de 1 signifie que presque toute l’énergie va directement aux équipements informatiques, ce qui est idéal. Plus le chiffre est élevé, plus il y a de pertes, notamment pour refroidir ou alimenter tout le reste. Donc, si tu veux faire simple : un bon centre de données, c’est celui qui utilise le moins d’énergie pour faire tourner ses serveurs, tout le reste étant optimisé pour limiter la consommation inutile.
Les cas d’alertes énergétiques
Aux États-Unis, la demande d’électricité pour faire tourner les centres de données dédiés à l’IA a tellement explosé qu’on a dû remettre en marche des centrales à gaz, et même à charbon, qui étaient pourtant destinées à être fermées (Data Center Dynamics, 2025; Financial Times, 2024). Ce paradoxe montre bien la tension entre la course à la technologie et les enjeux climatiques.
En Irlande, les centres de données consomment maintenant plus de 20% de toute l’électricité produite dans le pays (Central Statistics Office (CSO), 2024; The Journal, 2024), soit plus que ce que consomment tous les foyers réunis. Face à cette situation, les autorités ont décidé de mettre un moratoire temporaire sur les nouveaux projets.
Et en France ? Les projets annoncés représentent déjà une puissance totale de 3 GW rien que pour les centres de données liés à l’IA (Le Monde, 2025a; L’usine digitale, 2025), ce qui équivaut à trois réacteurs nucléaires de nouvelle génération.

Les impacts sur les terminaux et les réseaux
L’essor de l’IA ne se limite pas à faire exploser la consommation des centres de données. On entend souvent dire qu’il va aussi accélérer l’obsolescence de tes appareils, te poussant à changer de smartphone ou d’ordinateur même s’ils fonctionnent encore bien, parce qu’ils ne pourraient plus suivre les applications intégrant de l’IA. Pour l’instant, ce phénomène n’est pas encore massif : la plupart des usages d’IA restent accessibles sur beaucoup d’équipements actuels, et le renouvellement dû à l’IA n’est pas encore une réalité. Cependant, il est probable qu’à moyen ou long terme, avec l’arrivée de fonctions IA de plus en plus gourmandes et embarquées directement dans les terminaux, certains appareils devront être remplacés pour profiter pleinement de ces nouveaux services.
Par ailleurs, l’IA fait déjà grimper le trafic sur les réseaux : on estime que ce volume pourrait augmenter de 50% d’ici 2033 (Nokia, 2024). Ce phénomène s’explique par une boucle de rétroaction simple : plus les services d’IA sont performants et accessibles, plus on les utilise, ce qui génère de nouveaux besoins… et donc encore plus d’infrastructures à mettre en place. C’est un cercle vicieux !

La concurrence avec les autres besoins de la transition écologique
Tu le sais sûrement : pour réussir la transition écologique, il va falloir électrifier massivement nos transports, mais aussi l’industrie. Rien que pour les voitures, trains ou bus électriques, la France devra consommer entre 21 et 23 TWh d’électricité en plus d’ici 2030 (ADEME, 2021; RTE, 2022). Et ce n’est qu’un début, car l’industrie et l’hydrogène vont eux aussi demander beaucoup plus d’électricité dans les années à venir.
Dans ce contexte, les centres de données pourraient absorber jusqu’à 30 % des nouvelles capacités électriques ajoutées au réseau français d’ici 2030 (ADEME & Arcep, 2023; RTE, 2022). C’est énorme ! On se retrouve donc face à une vraie concurrence : chaque kilowattheure utilisé pour faire tourner des serveurs d’IA, c’est un kilowattheure en moins pour décarboner les transports, l’industrie ou produire de l’hydrogène vert.
Ce défi nous pousse à repenser nos priorités. Quels usages de l’IA sont vraiment essentiels ? Comment faire en sorte que le numérique, au lieu d’être en concurrence avec la transition écologique, devienne un véritable allié pour atteindre nos objectifs climatiques ? Voilà des questions qui méritent d’être posées dès aujourd’hui, pour éviter de foncer tête baissée vers une impasse énergétique.
Vers une gouvernance adaptée de l’IA
Quand on regarde de près la façon dont l’IA est aujourd’hui pilotée, on se rend vite compte qu’il y a de vraies lacunes à combler. Par exemple, il n’existe pas d’inventaire public complet des projets de centres de données en construction ou en projet, que ce soit en France ou à l’échelle européenne. Il devient donc très compliqué d’anticiper les besoins énergétiques à venir, de planifier les infrastructures, ou même de débattre collectivement de l’orientation à donner à ces investissements. Cette opacité ne concerne pas que la localisation des centres de données. Il manque aussi un suivi en temps réel de leur consommation d’électricité et de leur empreinte carbone, alors que ce sont des données essentielles pour piloter la transition énergétique et climatique.
Contrairement à d’autres secteurs industriels, le numérique bénéficie encore d’un régime d’exception. Il y a peu d’obligations de transparence sur l’impact environnemental réel, et les acteurs du secteur préfèrent souvent communiquer sur leurs progrès en efficacité énergétique plutôt que sur leur consommation totale ou sur l’empreinte carbone de bout en bout. Sans données fiables et publiques, il est impossible de mesurer l’alignement réel du secteur avec les objectifs climatiques, ni de s’assurer que les efforts de sobriété et d’efficacité énergétique sont à la hauteur des enjeux.
Face à cette situation, il devient urgent de mettre en place une vraie planification collective et transparente. Il faut pouvoir décider ensemble quels usages de l’IA méritent vraiment qu’on leur consacre une part significative de nos ressources énergétiques et matérielles, et lesquels pourraient passer après d’autres priorités de la transition écologique. Cela suppose d’établir des critères clairs, de hiérarchiser les usages, et de sortir d’une logique de développement à tout prix, qui risquerait de grignoter les marges de manœuvre pour décarboner d’autres secteurs essentiels.
Il serait nécessaire d’imposer des évaluations d’impact environnemental avant le déploiement de grands modèles d’IA ou de nouveaux centres de données, un peu comme on le fait déjà dans certains grands projets industriels ou de recherche. L’idée, c’est d’intégrer les questions environnementales dès la conception des systèmes, et pas seulement en essayant de corriger les dégâts après coup. Ce serait aussi l’occasion d’élargir la réflexion à d’autres enjeux comme : l’artificialisation des sols, la pression sur les ressources en eau, la biodiversité, etc. Bref, il s’agit de donner à la gouvernance de l’IA et du numérique les moyens d’être à la hauteur des défis écologiques et sociaux d’aujourd’hui.
Conclusion
En résumé, l’essor de l’intelligence artificielle et des infrastructures numériques représente un défi majeur pour la transition énergétique, mais aussi une belle opportunité de repenser nos usages et nos priorités. Les chiffres montrent que la trajectoire actuelle n’est pas soutenable, mais le rapport du Shift Project rappelle que rien n’est figé : en travaillant collectivement, en améliorant la transparence et en intégrant la sobriété dans nos choix, nous pouvons orienter le numérique vers un modèle plus compatible avec un monde décarboné. L’avenir du numérique reste à écrire, et il peut devenir un véritable allié de la transition si nous faisons les bons choix, ensemble et dès maintenant.
Sources
- « Intelligence artificielle, données, calculs : quelles infrastructures dans un monde décarboné ? » : The Shift Project publie son rapport intermédiaire
- ADEME & Arcep, 2023
- ADEME, 2025
- Arcep, 2023
- Central Statistics Office (CSO), 2024
- Data Center Dynamics, 2025;
- DCMag, 2025a
- Financial Times, 2024
- IEA, 2024a
- LBNL et al., 2024
- Le Monde, 2025a
- Le Monde, 2025b
- L’usine digitale, 2025
- Nokia, 2024
- RTE, 2022
- Sagot B., 2023
- The Journal, 2024
- The Shift Project, 2021a
- The Shift Project, 2021b
- The Shift Project & Supaero Decarbo, 2021
- Uptime Intelligence, 2024
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